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Dossier / 20 ans après le Charnier de Yopougon: Révélations, en 24 points, sur une affaire rocambolesque

Le « Charnier de Yopougon » ! Voilà un bien triste nom qui hante la politique ivoirienne depuis 20 ans. En plein conseil des ministres en octobre 2000, le Président Gbagbo est informé de ce qu’une cinquantaine de corps auraient été entassés dans les encablures de la prison civile d’Abidjan. Il ne sait pas encore que la dépêche de l’AFP qu’il lit à ses ministres fraîchement nommés, sera l’un des leviers de l’insurrection armée du 19 septembre 2002. 20 ans après, découvrez un autre pan de cette affaire qui n’a pas encore livré tous ses secrets. En 23 points, afin que chacun se fasse sa religion.

1-Vendredi 27 octobre 2000, Amadou Gon dit avoir reçu l’information d’anonymes sur la présence d’une centaine de corps vers la MACA.

2- 15H, 27 octobre 2000, Amadou Gon et la cellule Communication du RDR envoie une caméra sur place. Les images sont projetées dans la soirée devant Alassane Ouattara dans sa résidence où se tient un bureau politique.

3- La Cellule Communication du RDR a pris le soin d’alerter RFI, AFP, REUTERS, BBC et autres.

4- 16H39, première dépêche de l’AFP sur le « charnier de Yopougon ».

5- 17H, le Président Gbagbo, en conseil des ministres lit cette dépêche à haute voix et demande à Lida et Boga de procéder à des vérifications.

6- Le 28 octobre 2000, Boga et Lida se rendent sur les lieux et immédiatement Oulai Siéné, Ministre de la Justice lance une enquête.

7- Ali Coulibaly, actuel Ministre des Affaires , affirmera que « les victimes ne seraient pas seulement des militants et sympathisants de son parti, mais également des personnes  » portant des patronymes du Nord ou des musulmans, en raison de l’amalgame pratiquée entre Dioulas [nom générique donné aux musulmans en Côte d’Ivoire] et militants du RDR.

8- Les 27 et 29 octobre 2000, deux présumés rescapés sont présentés au chef de l’Etat Alassane Ouattara. Il s’agit de Ibrahim T. et Almamy D. Ils accusent les Gendarmes du Camp commando d’Abobo.

9- Le Commandant Be Kpan, décédé depuis, explique dans quel cadre les Gendarmes ont eu à intervenir dans la nuit du 26 au 27 octobre 2000, lorsque des barricades ont commencé à être posées par le RDR : «  » On a essayé de dégager les accès. C’était très violent. Ils avaient des lance-pierres, mais avec des billes en fer. Certains étaient armés. Les honnêtes gens nous appelaient au secours, mais nous avions du mal à atteindre certains quartiers. Il y avait des milliers de manifestants. Et ce n’étaient pas que des Ivoiriens… De vrais mercenaires, prêts à tout. Les affrontements se sont poursuivis jusqu’à 17 heures. On peut même parler de combat. Et pas avec des fusils de chasse, mais à coups de rafales de fusils d’assaut, des T 51. »

10- Il explique aussi la mort du Lieutenant de Gendarmerie, Emmanuel Nyobo N’guessan, tué par les hommes du RDR : « Il a été tué en début d’après-midi. Il était avec une équipe de dix à quinze hommes. Quand j’ai été averti de sa mort et que je me suis rendu sur place, j’ai trouvé son corps déshabillé jusqu’aux genoux. Il avait reçu deux balles dans le bassin. Il avait l’œil crevé et un coup de machette ou de gourdin l’avait blessé à la tête ».

11- A partir du 28 octobre 2000 et cela pendant au moins une semaine, 56 corps sont autopsiés par les Docteurs Baudelaire Yao Koffi et Hélène Etté.

12- Le dimanche 5 novembre, de 8h30 à 12 heures, les familles des victimes sont invitées à identifier les corps, dans un état avancé de putréfaction. 7 corps seulement sont identifiés ce jour-là. En tout, 11 corps issus du charnier ont été identifiés le 18 décembre 2000.

13- Ils sont enterrés entre le dimanche 12 novembre et le 15 Décembre. Curieusement, sur le registre, à l’entrée du cimetière de Williamsville, « il est systématiquement précisé sous la rubrique  » Filiation ou pétitionnaires  » : RDR. Le RDR demande aux familles ayant identifié leurs proches parmi les victimes de signer une  » délégation de pouvoir « … au nom du RDR.

14- Interrogé, Alassane Ouattara désigne ceux qu’il croit être les coupables : « Des éléments des forces de l’ordre qui ne peuvent avoir agi sans avoir reçu des instructions de leur hiérarchie ».

15- Alassane Ouattara écarte pour autant toute responsabilité du Président Gbagbo : « Je ne peux pas penser, connaissant Gbagbo, que les instructions viennent de lui. »

16- Pourtant, le journal le PATRIOTE des 28 et 29 octobre 2000 parle de « génocide en marche » et affirme sans apporter un élément de preuve que « dans le cas d’espèce [le charnier de Yopougon], les militants du RDR ont été raflés par les forces de l’ordre sur indication des militants du FPI ».

17- Or pour la FIDH et Reporters Sans Frontières « cette thèse d’un massacre programmé et planifié, qui aurait été décidé au plus haut niveau de l’Etat comme de la gendarmerie, ne résiste pas à l’examen. Rien, dans les informations recueillies par la délégation FIDH-RSF, ne vient corroborer ces allégations ».


18- Les Gendarmes accusés nient tout en bloc et parlent d’une manipulation et d’un montage du RDR qui aurait transporté les corps ramassés çà et là après les affrontements des 24 et 25 octobre 2000 entre manifestants et les hommes du Général Guéi. Des sources diplomatiques aussi pensent que le RDR est à la manœuvre vu que c’est son service de Communication qui a dirigé jusqu’alors les informations sur l’affaire.

19- Malgré toutes les zones d’ombre, notamment la faible quantité de sang et de douilles retrouvées sur les lieux, le Commandant Bê Kpan et 7 de ses hommes sont traduits en justice et leur procès s’ouvre le 24 juillet 2001.

20- Lors du passage des témoins de l’accusation, c’est la stupeur générale et la même confusion qui règne 12 après dans les procès des Pro-Gbagbo accusés encore par le RDR de crimes. En effet, aucun témoin n’étaye les accusations. D’autres se disent même surpris d’être là.

21- Selon le journal « Sud Quotidien » du 2 Août 2001, voilà quelques réponses des témoins de l’accusation aux questions du juge Deli Sepleu :« Qu’est-ce que vous avez à nous dire sur cette affaire ? », interroge le président Deli Sepleu. « Rien », répond un témoin. « Je l’ai appris dans les journaux », explique un autre. « Je m’étonne d’être là », lance un troisième.

22- Cette situation ubuesque fait écrire au journaliste Jean Roche Kouamé du quotidien le Jour du 2 août 2001, pourtant proche de l’opposition ceci : « Après 72 heures d’audition, aussi bien, des accusés que des témoins, le noeud gordien du charnier de Yopougon n’a pu être dénoué. C’est le grand paradoxe de ce procès. Une affaire mal emmanchée avec des témoins qui ne savent, pratiquement, rien du dossier. La journée d’hier a été la plus décevante ».

23- Face à ce genre de témoins, et aux « nombreuses zones d »ombre » », le juge Deli Seupleu, a estimé que les arguments de l’accusation qui réclamait « la prison à vie » ne pouvait emporter l’intime conviction des magistrats.

24- Les débats n’ayant pas pu démontrer « de façon irréfutable que ce sont les 8 gendarmes qui ont tiré » sur les 57 personnes en question, ils ont tout naturellement été acquittés et relaxés.

Cependant, le FPI au pouvoir à l’époque et le RDR au pouvoir aujourd’hui sous la bannière du RHDP continuent de se jeter la pierre sur cette affaire qui garde certains secrets 20 ans après.

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