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Danièle Sassou N’guesso: « Tout est à changer chez la femme…partout » (Interview)

Danièle Sassou N’guesso fait de l’autonomisation de la femme son cheval de bataille. Cette jeune femme mène depuis plusieurs années de nombreuses actions pour améliorer la situation de femme en Afrique.

Fondatrice de la Fondation Sounga N’ga, Danièle Sassou N’guesso se livre à nous dans cette interview.

    

       Qui est Danièle Sassou N’Guesso ?

Je suis une épouse et mère comblée dans la vie privée et, à la ville, je suis une entrepreneure sociale qui rêve et agit pour la parité femme-homme. Pour ce faire, je porte un certain nombre d’actions pour l’autonomisation des femmes et l’égalité des genres à travers la Fondation Sounga que je dirige depuis trois ans environ.

Vous vous présentez comme un défenseur de la cause féminine, pourquoi ?

Je ne me présente pas simplement comme un défenseur de la cause féminine. J’agis comme tel. Je le fais au quotidien. J’ai choisi de le faire parce que c’est indispensable. Rien ne me prédestinait à embrasser un tel combat, ni ma formation d’opticienne-lunetière, ni mon parcours professionnel. Mais comme je le disais tout à l’heure, il est difficile de rester impassible devant des injustices qu’on peut tenter, modestement, d’atténuer.  Un tel engagement me permet aussi de donner un autre sens à ma vie, par-delà la quête du bonheur étriqué de ma petite personne. A quoi sert une vie si on ne peut pas la mettre au service de personnes qui sont dans le besoin ? Le vrai succès ne se trouve-t-il pas dans l’aide que l’on peut apporter à autrui pour qu’elle ou il se réalise et réussisse également ? En tout cas c’est ma conviction.

Que voulez-vous changer dans la condition de la femme ?

La condition de la femme est un vaste chantier. Tout est à changer, absolument tout aussi bien en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Le changement le plus efficace c’est d’accorder la parité femme-homme dans tous les domaines de l’activité sociale ; du berceau à la vie adulte. Il n’y a qu’ainsi que toutes les injustices subies par les femmes peuvent être résorbées. Très concrètement, dès le bas âge, l’éducation scolaire des garçons est préférée à celle des filles. Celles d’entre elles qui ne sortent pas prématurément du système scolaire ont, contre toute attente, peu de chance d’accéder à un emploi ou à des fonctions correspondant à leur niveau de formation contrairement aux garçons. Les femmes formées ou non doivent dès lors soit dépendre des hommes pour vivre. Qu’elles aient une activité génératrice de revenus ou pas, elles sont souvent spoliées de des biens accumulés au moment du décès de leur époux. Cette situation parait normale parce qu’elle existe depuis toujours mais ça ne doit pas être ainsi et on peut y remédier grâce à l’égalité entre la femme et l’homme. De nombreux pays africains se sont déjà dotés du corpus juridique permettant d’encadrer cette égalité. Il ne reste plus qu’à appliquer ces lois et règlements pour que cela se traduise dans la vie quotidienne.

Cette condition peut-elle changer?

La condition de la  femme peut non seulement changer mais elle doit absolument changer notamment dans nos pays africains. Leur apport est indispensable pour atteindre une certaine croissance. En effet, selon le Mckinsey Global Institute, la parité femme-homme entraînerait 12% de gain de PIB supplémentaire en Afrique sub-saharienne. L’hypothèse d’un tel gain rend la parité absolument nécessaire pour le développement de nos pays, par-delà les prescriptions de l’agenda 2030 de l’ONU qui fixe le cadre pour que nous parvenions à un développement inclusif.

Pensez-vous que votre message est entendu ?

Il y a des signes qui montrent que les autorités ne sont pas sourdes à nos revendications. Nous sommes régulièrement reçus par les décideurs publics ou les élus du Parlement. Ce dialogue régulier est le signe que nous sommes écoutés. Nous avons également des discussions régulières avec le secteur privé notamment les responsables des chambres de commerce de Brazzaville et de Pointe-Noire qui appuient nos actions en direction des entreprises congolaises. On sent également un léger frémissement dans le paysage politique congolais avec une augmentation du nombre de femmes ministres qui est désormais de 8 sur 36 ministres, 14 sénatrices sur 72 membres du Sénat et 17 députées sur les 151 que compte l’Assemblée Nationale. Mais il est important de noter que ces chiffres sont le résultat de l’action conjuguée de toutes les parties prenantes  (ONG, secteur privé et gouvernement) et non seulement celle de la Fondation Sounga.

Vous avez reçu le Prix des Bâtisseurs de l’Economie Africaine (BEA) il y a peu, comment avez-vous été distinguée ?

Le prix des Bâtisseurs de l’Economie Africaine que j’ai reçu m’a été attribué par un jury qui est mieux placé que moi pour vous dire pourquoi j’ai été choisie. Je suppose que les actions  en faveur de l’entreprenariat féminin que je conduis via l’incubateur féminin Sounga Nga y ont fortement contribué. Cet incubateur est en effet un des projets de la Fondation SOUNGA. Nous y accueillons chaque année des femmes consécutivement sélectionnées par les internautes et par un jury d’experts. Elles y sont formées à l’entreprenariat durant 6 semaines et nous leur apportons un crédit d’amorçage grâce à nos partenaires financiers afin qu’elles puissent lancer leur entreprise.

Que signifie cette distinction ?

Cette distinction est une reconnaissance des efforts engagés pour changer le sort de la femme congolaise et partant, africaine. Une telle reconnaissance est aussi un encouragement à aller de l’avant. Un prix se mérite à deux moments : avant de le recevoir il faut convaincre un jury, souvent anonyme, de la valeur ajoutée des actions que l’on conduit, d’une part. D’autre part, après l’avoir reçu, on doit prouver que l’on mérite ce prix à un jury plus sévère, le grand public d’où la pression supplémentaire pour toujours être à la hauteur d’une telle distinction.

Parlons de la fondation Sounga

La Fondation Sounga est une association créée en 2015 pour favoriser l’autonomisation de la femme et la lutte pour la parité de genre.

Comment vous est venue l’idée de sa création ?

L’envie de créer une   association de lutte pour les droits des femmes est née des injustices que j’ai pu observer dans le quotidien des femmes. En effet, aussi bien dans la vie privée que dans la vie publique, dans les zones rurales ou dans les zones urbaines, les femmes subissent toutes sortes d’injustices simplement parce qu’elles sont des femmes. Dans les familles, elles sont souvent soumises à des rites de veuvage violents et humiliants au terme desquels elles sont souvent dépouillées du patrimoine pourtant accumulé avec leurs époux. Dans le milieu professionnel par exemple, elles sont confinées dans des rôles subalternes même lorsqu’elles sont aussi –voire plus-qualifiées que leurs collègues hommes. Il est difficile de rester indifférente devant d’aussi nombreuses injustices notamment quand on est un humain a fortiori une femme. Participer à l’amélioration de la condition de la femme congolaise est ce qui m’anime. Telle est également la vocation de la Fondation SOUNGA.

A ce jour, Quelles actions concrètes avez-vous posées ?

La Fondation SOUNGA a mis sur pied quatre projets majeurs. Le premier concerne l’incubateur féminin Sounga Nga qui vise à favoriser l’autonomisation des femmes via l’entreprenariat. Nous en avons parlé ci-dessus. Le second est le Focus group Sounga qui a lieu chaque année en vue d’identifier la perception du rôle de la femme dans la société congolaise. Le troisième est le Label Genre Sounga. Ce projet consiste à magnifier les entreprises qui intègrent le plus les femmes à travers un classement. L’objectif est de favoriser l’employabilité des femmes et la parité professionnelle au Congo. Enfin, nous avons des actions de lobbying à travers des tribunes, des argumentaires ou des sessions de travail avec les décideurs publics afin d’améliorer la situation de la femme congolaise.

Danièle Sassou N'guesso: "Tout est à changer chez la femme...partout" (Interview)

D’où vous viennent les financements ?

La Fondation SOUNGA vit des cotisations de ses membres,  des dons de bienfaiteurs et surtout du soutien permanent de ses partenaires. En dépit des efforts de toutes ces entités, nous avons toujours beaucoup de mal à boucler notre budget. C’est la raison pour laquelle j’invite les personnes qui le souhaitent à nous donner un coup de main en se manifestant via notre site www.fondationsounga.org. Ce coup de main peut revêtir la forme d’un mécénat financier ou d’un mécénat technique. Aucune énergie n’est de trop en matière de lutte pour l’égalité femme-homme

Votre idée de entrepreneuriat féminin

L’entreprenariat féminin est le moyen par lequel on peut résorber plusieurs problèmes. Il permet de favoriser l’emploi des femmes qui n’ont pas pu trouver un emploi faute de qualification suffisante pour être sortie précocement du système scolaire. Un tel entrepreneuriat est aussi un gage pour l’autonomisation des femmes car, avec une activité génératrice de revenus, les femmes sont moins exposées aux contraintes inhérentes à la dépendance vis-à-vis d’un homme par exemple. Cette autonomisation de la femme a aussi des effets sur la famille car comme le montre un rapport de la Banque Africaine de Développement, les femmes consacrent l’essentiel de leurs revenus aux dépenses de santé et d’éducation des enfants.

Votre plus grand rêve

Mon plus grand rêve c’est l’avènement d’une véritable égalité femme-homme partout dans le monde.

 


 

 

 

 

 

 

Danièle Sassou Nguesso posant avec son prix des Bâtisseurs de l’Economie Africaine, mai 2018

Hartman N'CHO

Je suis Hartman N'CHO, journaliste professionnel ivoirien, aimant la lecture, la musique, les voyages. Merci de retrouver mes articles de politique, économie, et sports... sur www.afrikmag.com. Contactez-moi sur hartman.ncho@afrikmag.com

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