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Confession poignante d’un clandestin : ‘’La route de l’Europe c’est l’enfer’’

Je m’appelle Mohamed. Je vous écris par le biais du Net, depuis la France où je vis voilà maintenant 9 ans. C’est en 2003 que j’ai pris la décision d’immigrer dans ce pays. Mais ce n’est que 3 ans plus tard que je suis parvenu à mes fins, de façon illégale. Je n’avais pas d’autre choix que de procéder ainsi. Le visa m’a été refusé à maintes reprises. J’ai dû faire le voyage clandestinement, en bateau de fortune. Ça n’a pas du tout été facile. Donc, je ne suis pas étonné de ce que je vois et entends à travers les medias, sur la question de l’immigration clandestine.

J’ai vécu cela.

En arrivant ici, j’ai été désillusionné, dès les premiers mois. Je n’imaginais pas à quel point les difficultés des Noirs étaient grandes. C’est vrai qu’aujourd’hui, je peux affirmer que j’ai réussi à m’en sortir. Je vis avec une Antillaise, en attendant d’avoir mes papiers. Cependant, j’ai bien failli laisser ma peau dans cette aventure. J’ai décidé de partager mon histoire, si cela peut aider les jeunes frères à rester au bled et à se battre pour s’en sortir. Non seulement, ils peuvent laisser leur vie en route, mais rien ne dit qu’en arrivant ici ils seront mieux lotis. Je m’estime chanceux de ne pas avoir fait partie de tous ces gens qui ont péris durant cette aventure.

Je suis fils de paysan, originaire de Touba. Mes parents sont des agriculteurs, et accessoirement, des éleveurs. Dès mon enfance, je gardais les troupeaux de mon père et j’allais à l’école. Je devais souvent accompagner mon père pour des travaux agricoles, lors des grandes saisons. Mais depuis le village, déjà, je rêvais de l’Europe. C’était le rêve des rêves ! Après mes études et ma formation en électronique, j’ai travaillé dans un cabinet comme technicien en informatique. J’avais été marié depuis le village, à l’âge de 19 ans et j’avais 3 gosses. Mon salaire ne me permettait pas de vivre aisément, comme je le souhaitais. J’avais tout juste de quoi nourrir la famille. C’est la guerre de septembre 2002 qui m’a enlevé tout espoir de rester au pays. Mon village s’est trouvé pris dans les zones de combat. Le bétail de mon père a été massacré et certains habitants tués. Cela m’a mis en colère. J’ai décidé de quitter le pays, pour aller me débrouiller en France. De là, je pourrais aider les parents en leur envoyant de l’argent.

Des personnes que je connaissais avaient réussi à se rendre en Europe. Elles avaient obtenu le visa. Celles-ci ont disparu dans la nature après l’expiration de leurs titres de séjour. A partir de la France, certains se sont rendus aux USA, en Angleterre, en Allemagne… Quant à moi, le visa m’a été refusé, plusieurs fois. Après ces nombreux revers, j’étais découragé. Il ne me restait plus qu’une solution : faire le voyage clandestinement. Des amis m’avaient averti que c’était dangereux. Moi, je tenais à mon rêve. A chaque fois, avant d’entreprendre quelque chose, je consultais des voyants pour savoir si tout va bien se passer. Le premier que j’ai consulté m’a dit qu’il avait vu un avion tomber dans l’eau. Je ne savais pas ce que cela signifiait. Surtout que j’allais faire le voyage dans une embarcation, à partir du Maroc. Quoi qu’il en soit, la peur de mourir ne suffisait pas à m’arrêter. Le deuxième voyant que j’ai consulté a été honnête en m’affirmant qu’il ne voyait rien de particulier. Il m’a dit que je pouvais arriver sain et sauf, à condition d’être prudent. Rassuré, j’ai réuni les moyens financiers nécessaires. J’ai hypothéqué ma voiture et emprunté le reste de l’argent à un ami qui exigeait 10% d’intérêts mensuels !

Après cela, j’ai pris contact avec des passeurs. Mais ceux-là, on ne sait jamais jusqu’où leur faire confiance. J’avais appris qu’il y a plein d’escrocs parmi eux et que certains ont abandonné leurs clients en plein désert, enfermés dans un camion, les laissant ainsi à la mort. D’autres volent l’argent de leurs clients et disparaissent. Tout cela ne parvenait pas à me dissuader. A quelques jours du voyage, je suis allé au village faire mes adieux aux parents. Par superstition, je n’ai informé personne d’autre de mon projet. De retour à Abidjan, j’ai quitté la Côte d’Ivoire deux jours plus tard. Le jour du départ, j’ai quitté la maison à dix heures du matin. J’ai embrassé les enfants en retenant mes larmes. Il a fallu d’abord plusieurs jours pour arriver au Maroc, par la route. Au rendez-vous avec le passeur, à ma grande surprise, j’ai découvert des têtes que je connaissais ! Comme moi, ils ont été surpris de me voir.

Après avoir payé les sommes dues, le passeur nous a donné ses instructions. Nous avons passé deux jours à attendre le bateau de fortune qui allait nous conduire sur les côtes italiennes. A voir les visages des uns et des autres, il n’était pas difficile d’imaginer ce qui se passait dans la tête de chacun. Tous, nous étions bien préoccupés : comment se passerait ce long et périlleux voyage ? Certains pleuraient.Quant à moi, je me répétais toujours la même phrase : «si je meures, tant pis. Si j’arrive, tant mieux.» De toutes façons, il y avait deux cas : vivre ou périr. Le jour du voyage, la nuit, certains ont failli rater le départ. Le passeur les accusait de ne pas avoir payé la totalité de l’argent nécessaire. C’était une tentative pour éliminer des têtes, étant donné que nous étions trop nombreux. Le passeur craignait que le bateau chavire, en cas de tempête imprévue. Il a failli y avoir une bagarre rangée. Mais les choses sont finalement rentrées dans l’ordre et nous avons pu embarquer. Cela nous a pris une journée, pour atteindre la Sicile (en Italie : ndlr). Une fois, là-bas c’était chacun pour soi.

J’ai retrouvé les connaissances que j’ai vues au Maroc. L’une d’elle connaissait les moyens pour entrer en France. Il le savait pour avoir été expulsée à plusieurs reprises. Cette personne nous a raconté ses déboires. Au cours d’un de ses énièmes voyages, il a été arrêté et enfermé dans une prison avec d’autres clandestins, issus de divers pays.Une nuit, désespéré, il a tenté de se pendre dans les toilettes de la prison. Il a dû son salut à un gardien qui passait par hasard. «J’ai perdu le moral et tout espoir ici à cause de la prison. Mais je n’ai jamais abandonné», nous a-t-il raconté, apparemment fier de lui. C’est un peu grâce à lui que nous sommes entrés en France. Mais une autre vie commençait pour moi. On s’est séparés devant la gare de train, en se souhaitant chacun bonne chance.

J’ai travaillé au noir pendant des années. Aujourd’hui, j’arrive à envoyer de l’argent au bled. Mais ce ne fut pas du tout facile. Je ne suis pas libre de mes mouvements. Quand on est clandestin, on craint d’être pris au cours d’un contrôle de police et d’être rapatrié manu militari. Lors du décès de ma mère, je n’ai pas pu assister à ses obsèques. Néanmoins, je prie Dieu pour qu’elle ait pitié de moi et ne m’en tienne pas rigueur de là où elle est. Je ferai tout pour qu’elle soit fière de moi. Je vais obtenir enfin la nationalité française après mon mariage en novembre prochain.Mon seul problème, comment expliquer tout à ma femme que j’ai laissée au pays ? Et mes enfants que je n’ai pas vus depuis presque 10 ans ? Comment réagira ma compagne si elle découvre que je me suis marié juste pour avoir la nationalité ? Je réfléchis à tout cela, pendant que je vous écris mon témoignage.

Toutefois, il faudra bien qu’un jour, je clarifie tout cela. Afin de faire la paix avec ma propre conscience.

source: topvisages.net

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