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« Je garde espoir »: Lettre de Nelson Mandela, en prison, à sa femme Winnie

Le 5 décembre 2013 à Johannesburg , le monde a perdu l’une des figures les plus inspirantes du XXème siècle, véritable modèle de sagesse, de détermination et de conciliation politique et humaine: Nelson Mandela. Dans les jours sombres de sa lutte panafricaniste, l’homme a fait le tableau de ses sentiments: une lettre plein de sens adressée à sa femme Winnie.

Symbole de la lutte contre l’apartheid, premier président noir de l’Afrique du Sud, « Madiba » avait passé 27 ans en prison: voici une des lettres adressées à sa femme, Winnie.


1er août 1970,
Les moissons de misère que nous avons récoltées lors de ces quinze derniers mois d’épreuves ne sont pas prêtes de s’effacer de mon esprit. J’ai l’impression que toutes les parties de mon corps, chair, sang, os et âme ne sont plus que de la bile, tant mon impuissance absolue à te venir en aide dans les moments terribles que tu traverses me rend amer.
Quelle différence ce serait pour ta santé et ton moral, ma chérie, pour ma propre anxiété et pour la tension dont je n’arrive à me défaire, si seulement nous pouvions nous voir! Si je pouvais être à tes côtés et t’étreindre, ou si je pouvais ne fût-ce qu’apercevoir ta silhouette à travers les barbelés qui nous sépareraient inévitablement!
La souffrance physique n’est rien comparée à la façon dont on a piétiné les tendres liens d’affection qui fondent notre mariage et tentée de briser notre relation de mari et femme. Quel épouvantable moment nous vivons! Nos convictions les plus chères s’en trouvent mises à l’épreuve, comme nos résolutions.
Mais tant que j’aurai le privilège de pouvoir communiquer avec toi, même si c’est pour la forme, et jusqu’à ce qu’on me retire expressément ce droit, nos dossiers témoigneront que j’ai essayé avec acharnement de t’écrire tous les mois. Je te le dois, et rien ne m’en distraira. Peut-être ma persévérance sera t-elle un jour récompensée.
Il y aura toujours des hommes de bonne volonté sur terre, dans tous les pays, et même dans le nôtre. Un jour, nous aurons pour nous le soutien sincère et indéfectible d’un homme honnête, placé au sommet de l’État, qui jugera incorrect de ne pas honorer son devoir consistant à protéger les droits et les prérogatives de ses ennemis les plus résolus, dans la bataille d’idées qui se joue ici; un homme qui se fera de la justice et de l’équité une idée suffisamment haute pour nous garantir non seulement les droits et prérogatives que la loi nous accorde déjà, mais qui nous dédommagera pour ceux dont nous avons été privés.
En dépit de tout ce qui est arrivé, des vicissitudes et des revers de fortune des quinze derniers mois, je garde espoir. Il m’arrive même de croire que ce sentiment fait partie de moi. Je sens mon cœur pomper l’espoir et le diffuser dans toutes les parties de mon corps, où il me réchauffe le sang et me remonte le moral. Je suis convaincu qu’une avalanche de calamités personnelles ne peut pas écraser un révolutionnaire déterminé, pas plus que le brouillard obscur qui accompagne de telles tragédies ne peut le faire suffoquer.
L’espoir est au combattant de la liberté ce que la bouée de sauvetage est au nageur : la garantie qu’il ne se noiera pas, qu’il restera à l’abri du danger. Ma chérie, je sais que si la richesse se mesurait en pesant l’espoir et le courage, avec ce que tu recèles en ton sein (cette idée, je la tiens de toi), tu serais certainement millionnaire.
Souviens-t’en toujours.

MANDELA (Nelson), Conversations avec moi-même, Paris, Les Éditions de La Martinière, 2010.

Nelson Rolihlahla Mandela, dont le nom du clan tribal est « Madiba », né le 18 juillet 1918 à Mvezo est mort à l’âge de 95 ans.

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