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Rupture de médicaments: La PNA révèle les chiffres et les problèmes du Yeksi naa (Exclusif)

Le Yeksi naa (en langue wolof, je suis arrivée) est un schéma de distribution des médicaments qui assure la disponibilité des produits essentiels de santé jusqu’au niveau périphérique. Une année après sa mise en place, des grincements de dents se sont faits entendre dans les structures de santé, où les prestataires se sont plaints d’une rupture de médicaments à leur niveau.

Ces mouvements d’humeur ont alimenté des rumeurs dans la presse, qui parle d’une rupture totale au niveau de la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement, qui a en charge le « Yeksi naa. » A travers cette interview accordée à Afrikmag, le Dr Lam Toro Mamadou Seck, chef du service distribution de la PNA, dépoussière cette histoire et dit tout. Entretien.

D’après les informations qu’on a eues, il y a des ruptures dans les postes de santé, comment cela est-il possible?

On a commencé à mettre en œuvre le « Yeksi naa » depuis octobre 2016. Il y avait un plan de déploiement pour la couverture des PPS (Points de prestation de Santé). Donc, on procédait à la couverture spatiale du pays par série de 3 régions, dans lesquelles on devait intégrer aussi bien les produits de la vague 1 que les produits de la vague 2. On a couvert 9 régions pour la vague 2, c’était vers les mars-avril 2017. Donc là, la PNA a décidé d’arrêter (la couverture des PPS avec la vague 2), parce que le stock ne suffisait pas, car pour mettre à disposition le stock, il fallait mettre trois mois de stock au niveau district et trois mois de stock au niveau de chaque poste de santé.

Or, dans la configuration, dans les prévisions qu’on avait introduites, il fallait qu’on accompagne la PNA par rapport à la dotation initiale estimée entre 1,7 et 2 milliards de FCFA. Néanmoins, la PNA a pris sur elle pour continuer à mettre à disposition dans les PPS la vague 1 et 2 dans (964 PPS) et la vague 1 dans le reste des (464) PPS.

Ce qui est important, c’est qu’il y avait plusieurs engagements surtout sur la disponibilité des produits de santé au niveau PPS. Ce qu’on cherchait à travers « Yeksi naa », c’est l’autofinancement de la chaîne de distribution, que chaque acteur de la chaine amène sa contribution pour la prise en charge des coûts de la chaîne. Cette prise en charge des coûts était estimée aux alentours de 1 milliard 80 millions FCFA.

Ces 1 milliard 80 millions FCFA étaient décomposés : c’est depuis la distribution entre la PNA et la PRA, les charges du « Jegesina » c’est à dire entre la PRA (Pharmacie Régionale d’Approvisionnement) et les districts sanitaires, mais aussi de couvrir les charges des opérateurs, les charges liées à la supervision c’est-à-dire l’assurance qualité (la correction des données).

Lorsqu’on a commencé, il y avait IPM (Informed Push Model) qui nous avait accompagné jusqu’en septembre 2017 et là, la PNA devait tout prendre en charge. Comme la PNA croyait qu’il y aurait la contribution des acteurs pour assurer la pérennisation, elle a été obligée de préfinancer. Ainsi, elle avait inscrit dans son budget 473 millions FCFA pour la prise en charge de la distribution.

Quels acteurs devaient contribuer à la prise en charge?

Il y avait 3 types d’acteurs qui devaient contribuer à la pérennisation du « Yeksi naa » : la première source, c’était le prélèvement des bénéfices de 25% issus de la vente des médicaments, la seconde c’est l’inscription d’une ligne budgétaire de 200 millions FCFA par le ministère, la troisième c’était la contribution de programmes de santé à hauteur de 200 à 250 millions FCFA. C’est-à-dire qu’ils ont vu les frais de gestion ajustés de 5 à 10% au niveau de la PNA. Donc lorsqu’on a fait la cartographie du financement, on a dit que les 65% des charges devaient provenir du prélèvement des marges bénéficiaires des districts sanitaires. Les 200 millions FCFA couvraient les 15% et les 20 % devaient correspondre au montant qu’on a à prélever avec les programmes de santé (VIH, programme paludisme, programme Tuberculose, la DSRSE) avec lesquels on a des conventions.

Lorsqu’on est sur la distribution entre la PNA, la PRA et les districts sanitaires et qu’ils voient leurs produits dans les postes de santé, il fallait augmenter de 5 à 10% de frais de gestion.

Lorsqu’on a regardé un peu sur les 5-6 dernières années, quel est le montant qu’on a vendu aux postes de santé, combien les programmes de santé ont payé leurs frais de gestion, et combien le ministère devait payer, la totalité des coûts, qui était d’1,08 milliard FCFA, devait être comblée.

Malheureusement, lorsqu’on a commencé, le ministère n’avait pas inscrit la ligne budgétaire, il n’y avait que quelques programmes de santé qui avaient accepté, le programme VIH, le programme PNT (Programme national de lutte contre la tuberculose) ont accepté d’augmenter leurs frais de gestion mais le PNLP (Programme national de lutte contre le paludisme) n’avait pas encore signé la convention. La DSME (Direction de la santé de la mère et de l’enfant) paie les 10% sur des produits PF qui sont quasi gratuits. 

« Depuis décembre-janvier-février-mars- jusqu’en Avril, il n’y a pas eu de distribution vers les PPS »

Nous, on se concentrait sur les prélèvements de bénéfices au niveau des postes de santé: 25% au niveau des postes et 25% au niveau du dépôt district, qui globalement va tourner autour de, si on fait une étude sur le montant des ventes des PRA au niveau des structures sanitaires, autour 5-6 milliards FCFA. Lorsque vous prenez 11% de 5 milliards, vous vous retrouvez avec 500-560 millions pour la prise en charge des opérateurs (qui sont payés 50 millions par mois). Ce qui reste, on devait aller le chercher au niveau des programmes, au niveau du ministère pour boucler les 1,08 milliard FCFA.

Lorsqu’on a commencé en octobre 2017, on a continué à mettre à disposition les produits de la vague 1 et de la vague 2. Derrière, c’est la PNA qui a lancé l’appel d’offre et il y a des opérateurs qui ont été retenus. Ces opérateurs devaient couvrir tout le pays. On a fait tous les préalables, les contrats et autres. Maintenant, lorsqu’on a commencé, la DCMP (Direction Centrale des Marchés Publics) nous a dit qu’il fallait réduire les montants destinés aux opérateurs. On a été obligés de se conformer au code des marchés en signant un contrat avec les opérateurs, qui devaient couvrir entre octobre-novembre-décembre et tout juste une partie de janvier.

Là, on a payé aux opérateurs presque 80 millions FCFA sur lesquels il n’y a pas de prélèvement de marge au niveau des PPS, car ils ont refusé disant que la PNA est en train de prélever des marges. Or, ils n’avaient pas compris que c’était pour les besoins de la chaîne. Donc, depuis décembre-janvier-février-mars- jusqu’en avril, il n’y a pas eu de distribution. S’il n’y a pas eu de distribution, on ne pouvait pas nous, assurer la disponibilité au niveau de ces PPS. Mais comme la PNA a mis une stratégie « Jegesina », nous on pousse les produits jusqu’au niveau du district sanitaire et c’est aux postes de venir les acheter. Or, eux ils disaient que les postes de santé, lorsqu’ils venaient acheter, il y a les produits de la CMU, qui étaient dedans, donc les postes revenaient à l’ancien système et ne prenaient pas les produits qui ne les intéressaient pas, surtout les produits de la CMU sur lesquels il y avait une politique qui permettait une gratuité.


Vous, à votre niveau, avez-vous un stock de médicaments?

Mais bien sûr qu’on a un stock de médicaments! Chaque semaine, on fait l’évaluation de stock. Actuellement, la PNA a presque 12 milliards de stock. Chaque semaine on fait l’évaluation de stock, on regarde quelle est la couverture, quelles sont les actions à entreprendre, comment on compte distribuer à partir de ça mais lorsqu’il y a arrêt, on peut couvrir le « Jegesina » compte tenu des créances des districts. Derrière aussi, il y avait des postes qui n’ont pas payé… il y avait aussi des retards de paiement. Il y a une conjugaison de facteurs, l’arrêt de la distribution, les dettes que les districts avaient à l’encontre de la PNA, parce que, lorsqu’on fait la facturation, les districts avaient presque 1 mois pour venir payer.

Les postes pointent du doigt la CMU…

Il y avait visiblement un retard de paiement de la CMU, de presque 1 an voire 1 an et demi, ça dépend des postes, des districts sanitaires et des régions. Lorsque vous demandez du coté de la CMU, ils vous disent que ce sont eux qui n’ont pas transmis les données à temps mais visiblement, il y avait un retard. Mais on doit mettre en œuvre la politique de l’Etat c’est-à-dire traduire en réalité la CMU.

Lorsque vous regardez le pourcentage de ces produits, en terme de chiffre d’affaire c’est faible, ça tourne autour de 15 à 20% des PPS. Maintenant, s’il y a un retard de 15 à 20% sur 1 an, ça pourrait impacter sur ça. Mais, la PNA met à disposition ces produits. Si ces produits sont au niveau des postes de santé, les infirmiers sont obligés de les donner.

« Si les postes ne paient pas, on arrête, on ne peut pas continuer, on doit assurer l’équilibre financier de notre établissement »

La PNA a entre 45 et 60 jours pour payer les fournisseurs, or, il y a un différé de paiement de presque 2 mois au niveau des postes de santé. Donc si les postes ne paient pas, on arrête, on ne peut pas continuer, on doit assurer l’équilibre financier de notre établissement. Maintenant, nous on était dans les dispositions d’aller discuter avec les Médecins, les infirmiers, les gouverneurs (tous les acteurs de développement) pour qu’ils comprennent le prélèvement des marges bénéficiaires. On a organisé des séries de CRD dans 5 régions ; et ça continue, pour sensibiliser un peu. « Yeksi naa » assure la bonne disponibilité des produits de santé mais en contrepartie, s’il y en a qui consomment et qui ne paient pas, y aura des problèmes dans l’approvisionnement.

On compte sur le respect des engagements de chaque partie prenante pour dérouler convenablement « Yeksi naa ».

Crédit photo: Access to medicine

Fatou Oulèye SAMBOU

Bonjour Je suis journaliste-productrice sénégalaise. J'aime parler d'actualité, de culture, et de sport. Je suis une passionnée de la vie et de ses merveilles: les voyages, le monde digital, le tourisme, le cinéma et la musique. Je vois toujours le bon côté des choses. Je vous donne rendez-vous sur Afrikmag pour des infos de qualité. fifi.sambou@afrikmag.com

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